On frappe à ma porte !

par | Jan 17, 2020 | Nouveautés, Reportages | 0 commentaires

Human Reflex c’est apporter un regard… un regard photographique sur les événements de votre vie, mais aussi un regard sociologique sur l’humain, une réflexion sur la vie en société. C’est au fil des rencontres que certains sujets émergent, et celle avec Alexandre résonne particulièrement dans mon parcours.

Voici l’histoire d’un projet qui donne la parole aux « habitants »

Mais c’est quoi, au juste, un habitant ? D’après le Larousse, c’est une « personne qui habite », qui « vit ordinairement dans un lieu ». Du latin habitatio, l’habitation désigne quant à elle le fait d’habiter. Ce sont des mots qu’on utilise tous les jours, probablement ceux sur lesquels on s’arrête le moins tellement ils sont clairs, et leur sens communément validé. Pourtant, on pourrait se poser la question suivante : le fait d’habiter est-il pratiqué de la même manière par tout le monde ? Existe-t-il une seule façon d’habiter, ou n’y en a-t-il pas autant qu’il y a d’habitants ? S’il y en a une multitude, alors de quoi cela va-t-il dépendre ?

C’est le point de départ de la réflexion d’Alexandre, étudiant créateur industriel à l’école ENSCI – Les Ateliers  de Paris. Passionné par le design industriel, il se penche dans le cadre de son mémoire de recherche, sur les maisons Phenix. Il s’agit de maisons individuelles dont le schéma de fabrication est totalement standardisé (ossature métallique et plaques de béton définissent les principaux éléments de leur construction). Dans un environnement bâti standardisé, quelles pratiques les habitants mettent-ils en place pour se sentir chez eux, et faire de leur maison un lieu unique qui leur ressemble ? Alexandre, obnubilé par cette question, n’avait d’autre choix que de rentrer en contact avec des habitants de maisons Phenix pour nourrir sa curiosité. Lettres manuscrites déposées en boîte aux lettres, porte à porte, rencontres et discussions, nuits chez l’habitant… il a tout fait pour passer de la théorie à la pratique.

Cette démarche, qui était « initialement pensée comme isolée dans l’intimité d’un foyer, se dévoile être collective » nous précise Alexandre, avant de rajouter : « Je présumais une réponse à la lettre, afin d’établir une intimité avec mes récepteurs, je produis un effet étendu; suscitant l’agitation et la vigilance » dans le quartier. « Dans un lieu où tout laisserait croire que le replis sur soi domine, une solidarité s’est créée. » Cet événement reconsidère en partie la question originelle de l’appropriation de l’habitat. Au-delà des murs, « jusqu’où sommes-nous chez nous ? » …

→ Contactez Alexandre pour en savoir davantage sur son initiative et découvrir son travail : alexandre.fontaine@ensci.com

C’est dans ce contexte de recherche que ma rencontre avec Alexandre prend tout son sens. Spécialisé en sociologie urbaine, je suis particulièrement animé par la question des territoires et de l’identité spatiale.

 

Mais de quel territoire parle-t-on ?

Contexte : c’est en 2010 que les premiers coups de pioches sont donnés pour bâtir ce nouveau quartier. Symbole d’une périurbanisation toujours vivace, la Marlière est défini à l’époque comme un « écoquartier » résidentiel au cadre verdoyant. Prix accessibles, jardins privatifs, chemins pédestres, proximité des grands axes routiers de la région… le quartier coche toutes les cases de l’idéal d’un chez soi intime et reposant. Entre 1954 et 2008, la population de Courcelles-lès-Lens a fluctué entre 5 300 et 5 900 habitants. En 2013, la population est passé à 6 600 habitants, et atteint 7 700 habitants au recensement de 2017 ! Elle a donc augmenté de plus de 30% en une décennie ! On peut facilement imaginer que la Marlière et l’arrivée de plus de 1 200 logements a profondément changé la morphologie urbaine de la commune. D’un côté, la « vieille » ville, maisons mitoyennes 1930, quartiers de corons, résidences. De l’autre, un quartier résidentiel récent, majoritairement fait de parcelles individuelles.

Qu’en est-il de l’identité de cette commune ? Quels sont les liens entre ce nouveau quartier et la vieille ville ? Quelles sociabilités nouvelles ? Engagements associatifs, engagements politiques, trajectoires familiales, culture locale, emplois… Ces liens sont-ils ancrés sur l’ensemble de la commune ? Peut-on parler d’intégration pour ce nouveau quartier ? Quels habitants se définissent Courcellois et selon quels critères ? Autant de questions qui mériteraient une enquête sociologique bien plus approfondie ; plus de temps et plus de moyens pour comprendre l’ensemble des mécanismes à l’œuvre dans le cadre d’une transformation urbaine de cette ampleur…

 

Quelques lectures sociologiques

Des « pionniers » prisonniers : immobilité résidentielle et déclassement social des pavillonnaires en ville nouvelle

https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2012-1-page-53.htm

Le logement, facteur de sécurisation pour des classes moyennes fragilisées ?

https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2012-1-page-17.htm

 

Habitat, habitation, habiter

https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm

 

La démarche d’Alexandre est peut-être l’occasion de semer quelques graines.

19 Décembre 2019 : l’exposition qu’il a mise en place à la mairie de Courcelles-lès-Lens prend fin. En voici quelques photos :

 

 

Ce 19 Décembre 2019, c’était donc l’occasion de se réunir en soirée lors d’un temps convivial. Des habitants de la Marlière étaient présents, le maire de la commune Bernard Cardon, des professeurs, et une classe de 3e du collège Adulphe Delegorgue, qui travaille justement sur la Marlière avec l’école Science Po de Lille. L’objectif était de lancer des discussions thématiques sur la vie du quartier. A l’aide de scénarios exacerbés, on prenait le pari de susciter de vives réactions, et ainsi de libérer la parole :

 

Un quartier ultra touristique

Et si les particularités du quartier l’amenaient à en faire un quartier prisé par des groupes de touristes asiatiques ?

Un quartier qui héberge des migrants

Et si une multitude de logements en vente étaient rachetés par un milliardaire avec l’objectif de loger des demandeurs d’asile ?

Un quartier sans voitures

Et si le quartier devenait 100% mobilités douces, interdisant la circulation des voitures en son cœur ?

Un quartier au jardin collectif

Et si toutes les haies privatives étaient abattues pour laisser place à un immense jardin où chacun(e) est libre de se déplacer ?

Un quartier "Gated Communities"

Et si le quartier était entièrement barricadé, surveillé par des caméras et des agents privés, et soumis à des badges à l’entrée ?

Un quartier qui dit "Adieu Auchan"

Et si la plupart des habitants développaient leur propre commerce dans leur garage ?

J’intervenais donc aux côtés d’Alexandre, pour animer ces scénarios et les débats de mon regard sociologique, avec un objectif : que les Courcellois nous livrent leurs représentations de la ville, leurs perceptions de la Marlière et leurs pratiques quotidiennes sur ce territoire élargi. Plusieurs éléments ressortent et viennent appuyer les témoignages recueillis par Alexandre. Toutefois, il s’agit bien de points de vue individuels que nous ne pouvons généraliser, mais ils ont le mérite de donner à voir quelques représentations intéressantes. En voici les principales caractéristiques :

Chez soi, c’est avant tout sa maison, son jardin, sa clôture et son intimité. Les incivilités dans les rues révèlent cependant que l’environnement immédiat est le prolongement de notre habitat : un quartier sale c’est une image négative renvoyée en tant qu’habitant. Cette frontière se matérialise par exemple par la place de la voiture, objet de transition essentiel entre la vie professionnelle et la vie privée. En effet, plus la voiture peut être amenée jusqu’au seuil de la maison, moins l’espace privé est brisé et plus le sentiment d’être « chez soi » perdure sans bouleversements. C’est le propre d’une « fonction résidentielle » associée à ce quartier : « voiture-boulot-dodo » ? On y dort, mais dans quelle mesure y vit-on ? En tout cas, peu de liens semblent s’établir entre les habitants de la Marlière et ceux de la « vieille ville ». Ces derniers nous confiant que finalement, « il n’y aucune raison d’aller là-bas ». Ce renvoi à la fonction résidentielle de la Marlière suppose-t-il mécaniquement un mouvement dans l’autre sens ? Si l’ensemble des services et commerces se situent dans la ville historique, on peut le supposer. Une chose est sûre, l’école est au cœur d’une sociabilité dite mécanique. Au départ pensé avec la construction d’une école, la Marlière n’en dispose finalement pas. En conséquence, une mixité se crée entre les familles, créant de fait des liens de sociabilité. Reste à savoir si ces liens peuvent aller au-delà de la sphère de la scolarité…

 

 

Et vous, quel rapport avez-vous à votre environnement ?