A nos services techniques…
La question du territoire était au cœur du précédent article, où l’on avait abordé avec Alexandre la notion d’identité de territoire, en s’appuyant notamment sur la distinction « sphère privée » versus « sphère publique ». Le territoire reste à ce jour un sujet qui me porte, tant il met en tension l’articulation entre l’individu et le vivre ensemble. A travers le prisme d’un groupe social nommé « services techniques », j’ai voulu appréhender le territoire sous un nouvel angle, celui du service public : Savons-nous ce qui se cache derrière un service que nous connaissons tous et dont chacun bénéficie au quotidien ?
Qui sont ces hommes que nous croisons en voiture ou à pied, souvent de jaune vêtus ? Quelles sont ces femmes qui œuvrent à l’entretien des locaux et accompagnent nos enfants ?
Peu visibles et souvent stigmatisées, les professions des services techniques cachent des parcours pourtant toujours singuliers. L’objectif de cet article est de donner à voir, dans une approche qui se veut expérimentale et circonscrite, les dessous d’un service public présent sur chaque territoire. Ici, en zoomant sur la commune de Drocourt (que je remercie pour leur accueil!), l’objectif n’est aucunement de tirer des conclusions générales ou des vérités sur “le service public”, mais de montrer avec modestie des réalités vécues personnelles et subjectives, des réalités racontées ; valoriser les acteurs de nos communes, comprendre leur métier et les écouter, tout simplement. A travers une série de portraits de femmes et d’hommes, je tâche ici d’être le témoin de récits auxquels on accorde bien peu de crédit.
Cette enquête de terrain a été réalisée, contexte sanitaire oblige, entre février 2020 et octobre 2020. Les récits déployés sont donc relatifs à cette période, et les parcours peuvent avoir évolué depuis. Mais tout part du présent car au moment où l’on discute, une question récurrente guide mes rencontres : vous êtes actuellement aux services techniques de Drocourt, mais comment êtes-vous arrivé(e) à ce poste ? Et comme il faut évoquer hier pour parler d’aujourd’hui, remontons quelques années en arrière…
Nous voilà en 1978 ! Michel fait ses premiers pas en tant qu’employé de jardinerie pour la municipalité ! Quelques mois à l’essai et un service militaire en guise de coupure ne travestiront pas la longévité de son parcours :
Je n’ai jamais travaillé en entreprise privée. Ça fait 42 ans que je travaille pour Drocourt, que je m’occupe de l’entretien des espaces verts !
Et en 2020, c’est la dernière ! Une carrière entière au service d’une municipalité. On ne peut douter que Michel est un témoin privilégié du temps qui passe, et ça, au rythme des saisons :
On adapte nos tâches par rapport à la météo. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, on est toujours à l’extérieur ! Pour les plantations par exemple on attend qu’il ne pleuve plus mais pour mettre des copeaux, la pluie ne dérange pas ! Si on devait attendre qu’il fasse beau pour travailler, on ferait rien ! » A titre personnel, Michel a sa préférence : « J’aime pas trop la chaleur ! Moi je préfère encore le froid. Le froid on peut encore se couvrir, mais quand il fait vraiment trop chaud… on peut rien faire ! (rires)
Ses collègues témoignent eux aussi d’un métier régi par la météo, partagées entre inconvénients, avantages, et habitudes. Pour Yves,
Ca n’est pas un métier d’intérieur […] Par tous les temps, l’été la canicule, l’hiver le froid, on est toujours dehors ! Des fois avec les -5°C on est là quoi… Alors on se couvre bien, on a plusieurs couches, des blousons, des polaires… et puis on s’est habitués aussi, ça y fait beaucoup l’habitude !
Même avis pour Alexis,
Le seul inconvénient c’est la pluie, et l’hiver… On s’habille chaudement, double pantalon, bonne paire de chaussettes, des gants… Après une fois qu’on travaille on a chaud ! Une fois que je suis en action, que je bouge, j’aime bien. On n’est jamais au même endroit c’est ça qui est bien.
Robert quant à lui semble être rôdé à ces conditions de travail, et sous-entend que ses expériences passées l’ont forgé à s’y habituer.
J’ai travaillé 4 ans en filature. Je commençais a 5h au matin jusque 13h… Et avec la machine… enfermé… Après l’armée, j’avais quel age, 22 ans, et depuis j’ai toujours été dehors aussi, à changer les voies, les traverses qui sont pourries…
Enfin Patrick, pour qui les conditions météo ne sont pas un problème, considère qu’elles font partie de la nature de son métier, qu’il affectionne par ailleurs.
Pour moi mon travail est bien. Comme j’ai toujours été actif dans les gros travaux, ça me dérange pas de faire ça. J’ai toujours eu l’habitude et j’ai toujours aimé être à l’extérieur. J’ai commencé à 16 ans dans le bâtiment et j’ai toujours été dehors. Même à -10°C on travaillait dehors !
Alors c’est certain, en 42 ans, Michel les a vues défiler les saisons ! Souvent seul au début, il a vu les espaces verts de Drocourt s’agrandir, les progrès matériels aider à la tâche et de la main d’œuvre arriver, « des contrats », comme beaucoup les appellent : des emplois PEC (Parcours Emploi Compétences) à durée déterminée, en partie subventionnés par l’État, qui viennent en appui des employé(e)s titulaires. Les titulaires, Nathalie B. en fait partie. Comme Michel, la ville de Drocourt a été son unique employeur. Présente depuis 1994, elle s’occupe de l’entretien des écoles, des bâtiments communaux, et de la cantine depuis 2012. C’est ce dernier lieu qui résume peut-être le mieux le spectre large du travail des « dames de service » : au-delà des tâches ménagères, leur métier se caractérise aussi par leur statut de référente auprès des petits et le volet social et humain qu’elles sont amenées à pratiquer au quotidien.
Vous savez, avant dans la cantine on s’occupait des enfants, on jouait avec eux après le repas, on débarrassait, on les faisait chanter ! Et puis ils ont décidé de mettre en place les ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), et là je me suis sentie rabaissée, j’étais en colère ! Parce que c’est nous qui nous occupions d’eux, et on nous demandait maintenant de rester dans notre cuisine, porte fermée… Aujourd’hui on est revenus à l’ancienne méthode ! On les cajole, on s’occupe d’eux. C’est pas nos enfants bien sûr, mais on les considère comme nos petits enfants quand même, on les accompagne aux toilettes, on fait l’infirmière aussi quand y’a des petits bobos, on règle les conflits si l’un pousse l’autre etc. Les parents peuvent être contents parce qu’on s’en occupe bien ! Enfin on essaye (rires). Donc quand on fait la cantine, ça nous valorise un peu, ça fait du bien !
Il faut dire que le reste du temps et pour les autres tâches, Nathalie est bien consciente d’être une travailleuse de l’ombre :
Y’a des bâtiments qui tomberaient en ruine si on n’était pas là ! C’est dans ce cas là où on dirait ‘Elle est où la femme de ménage ?!’…
C’est un constat amère que Nathalie développe pendant notre discussion sur la perception du métier dans sa globalité. Le manque de valorisation et à tout le moins de considération est régulièrement pointé du doigt, avec une certaine fatalité.
Moi je suis blasée, à force, ça fait des années ! J’aime ce que je fais donc je ne me sens pas dévalorisée, mais [le manque de respect] est devenu courant, presque normal… […] Il nous faudrait du respect, par exemple dans les écoles. Je dis pas qu’ils doivent faire notre travail, mais quand on arrive et que tout est à côté de la poubelle… Le métier n’est pas considéré. Les femmes de ménage sont toujours considérées comme la poubelle, c’est pas valorisé du tout ! » L’une des solutions appliquées tient en une expression pour Nathalie : « Tout ce qui est à terre appartient à la terre ! » Ainsi, « Quand je balaye, tout va à la poubelle ! »
Ce manque de reconnaissance perçu par ces femmes de l’ombre renvoie à un argument qui sera souvent avancé concernant le regard de l’usager, et repris par Nathalie : « C’est normal ils sont payés pour… » Alors le soutien, elle le trouve en elle-même : « Des fois je dis à mes collègues ‘je nous félicite !’ parce qu’on a bien travaillé ! (rires) », mais au-delà de l’anecdote, aussi auprès des supérieurs hiérarchiques. Membre du Syndicat FO (force ouvrière) et représentante au CHSCT, Nathalie sait qu’elle dispose d’un espace de dialogue avec les décideurs. Lors de réunions :
On parle de tous les changements qu’il y à voir dans la commune, au niveau de la sécurité en général. Ça se passe bien. On fait remonter des choses de notre côté, et la mairie a aussi des choses à proposer. Forcément c’est la mairie qui valide mais on a par exemple réussi à faire remonter des choses sur les balais. Y’a à peu près un an on a eu des chariots, et on n’a plus à tordre la serpillière, donc déjà sur ça, ça nous soulage.
Carole est aussi titulaire, et représentante au CHSCT. Au-delà de ces séances d’échanges officielles, elle souligne surtout l’autonomie de travail dont elle dispose, et en cas de réel besoin, la disponibilité du responsable des services techniques (Gérard) ou de la mairie.
Si vraiment on a un souci, on les appelle, on leur dit voilà j’ai un problème, on téléphone à Gérard, il essaye d’arranger la situation et de nous donner une réponse assez rapidement.
En dehors de ces situations particulières, Carole m’explique qu’au quotidien, l’expérience et l’expertise de leur métier permet cette autonomie.
On sait anticiper vous voyez, parce qu’on a l’habitude de ce qu’on fait, et y’a des choses qu’on voit arriver beaucoup plus vite que d’autres personnes. A l’Agora par exemple, la plupart du temps je suis toute seule. Mais c’est déjà arrivé, quand c’est pas possible, que j’appelle et qu’on me mette du renfort : j’avais une grosse manifestation le week-end, et le mardi la salle était prise. Sur la journée du lundi c’est impossible de laver les cuisines, de laver la salle, c’est tellement grand que c’est impossible ! Dans ce cas j’anticipe, parce que je connais mon travail, et je sais que là il va y avoir un problème. Et puis en ce moment c’est pas une situation facile : désinfecter les bâtiments, les points de contact, on essaye de rien oublier mais c’est pas toujours évident et ça prend plus de temps !
L’Agora, bâtiment de la commune voué aux activités sociales et culturelles principalement, est en quelque sorte le QG de Carole.
J’ai postulé à la mairie de Drocourt et le bonheur c’est que moi je suis à l’Agora ! Ils venaient d’ouvrir et y’avait encore personne, donc j’ai commencé en étant en “contrat” pendant cinq ans, et puis au bout de cinq ans j’ai été titularisée. Donc là je suis titulaire depuis 2003 !
A l’instar de Nathalie B. à l’évocation du rôle social que peut lui apporter le service de cantine, Carole aime ce que lui apporte ce poste, qui va au-delà des tâches ménagères.
Je fais l’entretien du bâtiment mais pas que ça ! Je reçois les associations aussi, je suis relais avec elles. Quand elles viennent dans la salle, s’il leur manque quelque chose, je suis là. J’ouvre les portes, je ferme les portes, enfin plein de choses en plus du ménage !
L’autonomie dans son travail ainsi que la diversité relationnelle offerte par le calendrier culturel de l’Agora, permettent à Carole de se sentir libre.
A l’Agora, y’a jamais quelqu’un qui me demande ce que j’ai fait de ma journée. Moi je le prends comme ça : on se fait confiance ! On sait que Carole fait son travail. De toute façon automatiquement ça se voit. Si le vendredi la salle était sale, on dirait qu’est-ce que t’as fait de ta semaine ? Ce qui n’est pas le cas. Mais si le lundi j’ai envie de commencer par les cuisines ou une autre pièce, c’est moi qui juge. Je commence comme je veux ! J’arrive et je me dis ‘ tiens là, j’ai eu tel banquet, la semaine prochaine j’ai telle manifestation…’ donc des fois il faut que je fasse les cuisines en premier parce que ça prend beaucoup plus de temps, mais si les cuisines ne sont pas utilisées je peux d’abord commencer par autre chose. On n’est jamais venu me dire “faut faire comme ci ou comme ça”, jamais. Je suis autonome. On est autonomes. On peut pas dire qu’on a le chef derrière nous qui nous surveille. Je pense que c’est une question de confiance.
Cette notion de liberté, qui ressort comme centrale dans le témoignage de Carole, et qui l’est aussi pour d’autres employés, est accentuée par son parcours professionnel antérieur.
Avant j’ai travaillé dans le privé. J’ai travaillé chez Renault, à Douai. Je faisais les postes, c’était compliqué. A cette époque là j’étais ‘au tableau de bord’ sur la chaîne de montage, et puis après j’ai fait ce qu’on appelait entre guillemets ‘jockey’, je prenais la voiture en sortie de chaîne, je la sortais, et je la mettais sur le parking.
Pour Carole, « la fonction publique n’a rien à voir avec le privé ». C’est en tout cas ce que nous témoigne son expérience, où s’affrontent deux modèles différents, conditionnant à leur manière le quotidien du métier exercé :
Chez Renault c’était fort hiérarchisé, on avait le chef qui nous disait quelque chose : c’était comme ça. On n’avait pas le droit de dépasser la ligne. On avait un rendement à rendre. Tandis qu’ici c’est pas du tout la même chose. On peut quand même s’organiser d’une autre façon. Là-bas par exemple j’avais trois ou quatre minutes pour faire une chose. Il fallait que ce soit fait dans les temps, et hop passer à la suivante. Tandis qu’ici si j’en mets six ou sept, on va pas venir me taper dessus. On vient pas nous trouver, ou alors il faudrait vraiment exagérer ! Dans le privé, quand vous travaillez comme ça dans une usine, malheureusement vous avez un temps défini, et on peut pas dépasser. Ici si on a soif, on va s’arrêter deux minutes, on va boire et on va repartir. A la chaîne, même tout simplement aller aux toilettes, c’était six minutes toutes les 1h30. Je trouve quand même que c’est plus aisé de travailler dans le public que dans le privé. » Bien évidemment, « des fois il y a des difficultés, mais on s’arrange entre nous aussi. S’il y a un problème de telle heure a telle heure on dit ‘bah moi tiens je peux venir le faire à ta place’, c’est déjà arrivé, on essaye de s’arranger entre collègues, entre “dames de service” comme on nous appelle ! On a une bonne relation. Avec la plupart de nos collègues, on s’entend bien quoi. On est vraiment là pour qu’il n’y ait aucune interruption du service.
Nathalie L. et Claudine témoignent également de conditions de travail bien plus calmes et sereines par rapport à leurs expériences dans le privé. Cette dernière m’explique qu’elle s’est occupée pendant quinze ans d’une station de lavage.
Je devais m’occuper de quatre stations : l’approvisionnement des produits, l’entretien des machines, et sur les derniers temps comment dire… ils voulaient même que je mette les mains dans les moteurs ! Mais moi j’étais pas habilitée. En plus ils me faisaient réparer des caméras, et j’étais pas habilitée électricité non plus… C’était plus possible. En plus je devais faire les quatre stations sur la journée… deux sur Fouquières-lès-Lens, une à Cora Lens 2, et une à La Bassée. Au fur et à mesure que les années passent, la fatigue commence à se faire sentir hein… parce que c’était des journées vraiment complètes… m’occuper des clients, de la station, des caisses, rentrer à la maison et faire les caisses, ah non j’en pouvais plus ! Je rentrais une tonne de sel et de poudre à moi toute seule hein…
Même si le métier de dame de service est difficile physiquement, Claudine n’en est pas moins heureuse et épanouie à son poste dans les écoles de Drocourt :
Là j’adore mon travail je vous le jure ! Si j’avais su ce que c’était avant, j’aurais fait ça bien avant ! Tout me plaît ici, je fais 10h de ménage et je m’occupe des enfants, de la cantine. Puis là regardez je suis toute seule, c’est impeccable, j’aurais du faire ça depuis longtemps…Non mais c’est vrai, j’ai loupé complètement ma vocation (rires). J’adore être avec les enfants ! C’est certain, faire les ménages, c’est fatiguant, mais c’est moins fatiguant que le travail que j’avais là bas ! J’ai même mal aux os hein, je vais vous le dire franchement, mais je me surpasse parce que j’adore mon travail !
Quant à Nathalie L., qui travaille le plus souvent dans les locaux de la mairie, c’est une expérience similaire dans le domaine de l’entretien qui fait office de comparaison.
J’ai travaillé dans une école d’aides soignantes pour nettoyer les bureaux, et ça faisait partie à l’époque de la polyclinique d’Hénin-Beaumont. […] Personnellement je préfère faire du ménage dans les bureaux. Je suis toujours restée dans le ménage mais de mon expérience des différents bâtiments, je constate que je me sens mieux dans des bureaux.
La différence entre deux structures pour un même métier dans le parcours de Nathalie, c’est le rapport à la hiérarchie et à l’organisation du travail. Pouvoir être « indépendante » et dans une relation de confiance avec les supérieurs est primordial pour se sentir bien dans son travail :
Avant c’était totalement différent parce que c’était une société de nettoyage. On avait une cheffe qui venait nous voir une fois par semaine, c’est tout. Et avec les gens c’était bonjour bonsoir et c’est tout. Ici je suis en mairie, c’est quand même différent. Avec Fatiha [la responsable QSE], on peut vraiment dialoguer. S’il y a un souci, on peut vraiment lui en parler. C’est une dame qui est assez cash et moi je suis comme ça aussi. Tant qu’on a du respect avec la personne, on peut dialoguer. Après je pense qu’on peut être indépendant au travail comme on l’est dans la vie privée. Moi je me sens plus épanouie depuis que je suis à la mairie parce que justement je m’organise comme je veux toute seule, je calcule par rapport à mes heures, je suis au calme, ça me convient quoi ! Même mes collègues m’ont dit ‘t’es plus épanouie quand t’es dans les bureaux !’
Dialogue avec la hiérarchie, écoute, et confiance sont identifiés comme des éléments essentiels dans les témoignages, pour assurer, comme le disait Carole, « la continuité du service ». C’est un peu le leitmotiv des services techniques de Drocourt. Cela passe par des outils classiques tels que l’établissement de plannings, mais surtout semble-t-il, par l’adaptabilité dont font preuve les agents, et le travail « en bonne intelligence », comme aime à le pointer Fatiha ; de concert avec Gérard – responsable des services techniques -, celle qui s’occupe des questions « Qualité Santé Environnement » œuvre pour que les services techniques fonctionnent en sécurité et en harmonie.
Mon métier en fait c’est de préserver la santé des agents, et pour une commune également, du public qui accède aux bâtiments de la commune. Pour les agents c’est de la sécurité au travail en terme d’équipements de protection individuelle, et d’amélioration des conditions de travail, que ce soit physique ou psychologique. Mon métier c’est vraiment de la prévention dans sa globalité.
Au quotidien, Fatiha définit sa relation avec les agents comme étant « Systématiquement dans l’échange », en s’appuyant sur l’exemple des équipements de protection :
On essaye de voir en fonction de ce qui est bon pour eux : ils doivent porter normalement des chaussures de sécurité, que ce soit les agents d’entretien comme les agents techniques. Je fais en sorte que l’équipement que je leur mets à disposition leur convient ! Moi je propose, et eux choisissent sur la gamme que j’ai pu proposer ce qui leur convient le mieux. J’impose pas de façon systématique ‘ça sera ces chaussures là et pas d’autres’, j’essaye d’être assez large, assez souple, avec certaines limites bien entendu, mais pour qu’ils aient quand même leur mot à dire par rapport au produit.
Quant à Gérard, il a occupé plusieurs postes par le passé dans la commune :
J’ai commencé en espace verts pendant 2 ans, après j’étais dans la menuiserie indépendante que la ville avait rachetée. En 2010 je suis passé responsable, puis j’ai arrêté 2016, et j’ai finalement repris cette année en 2020.
Gérard adore le terrain, et connaît très bien les ouvriers. Pour lui, une part d’humanité est clairement nécessaire en tant que responsable, et son expérience de terrain lui permet une proximité forte avec les agents des services techniques. Un mot d’ordre, la continuité.
Avec moi ça se passe bien ! Il y a un esprit d’équipe c’est ça le plus important ! L’esprit d’équipe c’est primordial pour faire tourner un service technique. Quand je vois les gars ensemble c’est vrai que c’est bien, tout le monde sait ce qu’il y a à faire. Il faut aussi de la confiance et de l’investissement, c’est ce que je demande aux gars aussi : s’investir. On est là pour les habitants, pour le maire. Ça va on est pas a la chaîne ! La polyvalence c’est bien aussi parce qu’on touche un peu a tout, et c’est beaucoup d’entraide. C‘est ça que j’aime bien aussi : si un des gars est embêté un autre va aller l’aider à décharger le camion par exemple. Tout compte fait, ils se rendent comptent que… c’est peut être ici qu’on est le mieux (rires) ça donne envie de se lever le matin et d’aller travailler !
Et ce n’est pas Guillaume qui dira le contraire. S’il fallait un exemple pour illustrer la polyvalence dont parle Gérard, il est tout trouvé.
Je fais un petit peu de tout, je touche à tout. J’aime bien bricoler, c’est un petit peu ma passion de bricoler donc quand je suis ici je fais un peu de tout. Moi je suis polyvalent on va dire, je peux être sur tout type de métier, dans ce que je sais faire. Après même si je sais pas faire je peux aller aider, donner un coup de main. Je peux aller aussi bien en espaces verts, de temps en temps, quand c’est l’été et qu’il y a un coup de bourre, bref dans tous les corps de métier qu’il va y avoir au sein du service technique. Je peux aller en électricité parce que j’ai fait une formation électrique. J’ai été à l’école pour faire soudure. J’ai mon BAC structures métalliques. Pas beaucoup mais je fais un petit peu de plomberie aussi ! Je fais de la fête ! Tout ce qui est technique en fête, charger décharger les camions, installation du matériel tout ça…
Sa polyvalence, il la tire aussi de ses expériences multiples dans le secteur privé.
J’ai fait l’usine, j’ai aussi été le long des voies ferrées à tirer les câbles, chose qui n’est pas évidente… Mon premier boulot c’était boucher désosseur en Belgique, sur Bruxelles. Donc j’ai fait un petit peu tout.
Pouvoir valoriser ses expériences, ses goûts et ses compétences en un même lieu de travail est un élément fort du bien-être actuel de Guillaume, et sa motivation au quotidien en atteste.
Je trouve qu’ici j’ai trouvé ma place. Je me plais ici ! Aujourd’hui je vais faire un panneau comme demain je pourrais faire autre chose. C’est jamais le même boulot ! Quand j’arrive le matin, je sais pas ce que je vais faire en fait ! Enfin si, par rapport aux plannings à peu près, mais ça peut changer d’une semaine à l’autre, et franchement j’adore ! C’est rare que certains disent qu’ils aiment bien leur boulot, mais moi j’aime bien mon boulot. Je me vois pas ailleurs !
A la polyvalence et à la motivation, vient s’ajouter un troisième élément positif dans l’expérience de Guillaume à Drocourt : la valorisation de son travail. Dans son cas, il semblerait que son ancrage territorial fort est un moteur incontestable de la valorisation de son métier. Travailler pour une (petite) commune semble apporter du sens à l’action réalisée. En comparaison avec le secteur privé tel que mentionné dans les témoignages (la chaîne, la productivité, le rigidité organisationnelle, le manque de dialogue,…), c’est la notion de dés-aliénation qui qualifierait davantage le parcours de Guillaume : c’est-à-dire percevoir et comprendre dans son entièreté le sens, les rouages, les objectifs et le résultat de sa tâche.
Déjà moi j’habite à Drocourt ! Quand je fais quelque chose dans la ville, comme je sais que c’est moi qui l’ai fait, bah j’en parle facilement avec mon père ! C’est valorisant quoi. Mon père est content. Mes grands-parents habitent Drocourt, toute ma famille habite Drocourt. Pour moi c’est valorisant quand je fais quelque chose, que mes grands-parents le voient et me disent ‘ah c’est bien t’as bien travaillé !’ Alors que quand on est à l’usine, c’est pas pour nous quoi. Ça part dans des pays étrangers, c’est pas un travail qui valorise vraiment le boulot que vous faites quoi ! Ici c’est à deux minutes de chez moi, pas de galère, j’habite juste à coté, pas de frais de déplacement de voiture. Je commence à 8h je me lève à 7h ! Je viens à pied tous les matins, et pour l’environnement, quand on peut… J’ai pas de transports en commun, moi c’est mes jambes c’est encore mieux ! Puis c’est vraiment super valorisant de travailler pour sa commune, quand on voit ce qu’on a fait, on est contents !
Pour autant, travailler pour sa commune, c’est être aussi particulièrement exposé à des enjeux plus politiques, bien au-delà de l’essence même du métier. Cette approche des services techniques a mis en évidence un phénomène que nous pourrions qualifier de zone tampon. Les employés des services techniques semblent être des absorbeurs de problématiques locales, et peuvent même parfois subir les dommages collatéraux de questions qui leur échappent. L’exemple le plus criant est peut-être celui des déchets, dont Gérard s’est saisi.
La dernière fois j’ai fait un coup de gueule sur les réseaux sociaux à cause des dépôts sauvages. J‘ai même été à RBM (Radio du Bassin Minier). Pendant deux ans les gars ils n’ont fait que ça : des camions sous la pluie ! Ça m’a énervé rien que de les voir… j’ai fait un message coup de gueule des services techniques sur Facebook. On a autre chose à faire parfois ! On nous dit que des rues sont sales mais là ils ont passé vingt heures à trois bonhommes… pour ramasser un seul dépôt. Plus que ramasser, il faut aussi trier, parce qu’il y a les bennes bois, les bennes cartons, etc. Ça aussi derrière c’est encore plus de temps pour nous…
Et Yves de témoigner, impuissant, les conséquences d’actes malveillants ciblant les espaces verts publics entretenus par ses collègues et lui-même.
On n’a pas tellement de valorisation comme on dit. Quand on plante à certains endroits par exemple, les jeunes arrachent et volent tout ce qu’on plante, et on est dégoûtés quoi… En une heure de temps ils vont bousiller notre travail de plusieurs jours : y’a la préparation du sol, la composition des massifs, la mise en place des arbustes et des fleurs, après on met des paillis pour la décoration… Alors eux quand ils arrachent, tout se soulève, le paillis s’en va, et après quand on replante on est obligés de faire des nouveaux trous, donc le parterre par lui-même est tout abîmé en fait. On met une demie journée si c’est pas plus à tout remettre en état…
Au-delà de ces actes de dégradation et de leurs conséquences pour leur travail au quotidien, les agents des services techniques se voient dotés d’un rôle social qui n’est pas inhérent à leur métier, mais qui provient mécaniquement de leur exposition sur l’espace public, comme le souligne Alexis.
On est une des équipes les plus vues on va dire. Quand pour des gens ça va pas, ils nous le disent à nous, mais qu’est-ce qu’on y peut ? C’est pas à nous de gérer le problème quoi. On leur dit qu’il faut téléphoner en mairie… on n’est pas des médiateurs non plus !
Même constat pour Patrick, qui de temps en temps, est exposé aux incompréhensions d’habitants sur les limites de coupe des espaces verts. A lui alors d’expliquer que « des fois les gens ont des accès privés, et on n’a pas le droit d’intervenir ! » et Robert de rajouter : « Y’a des gens des fois qui ne comprennent pas. Par exemple je ramasse des papiers, et puis des gens me disent que y’a des pissenlits qui poussent sur l’escalier… ‘Moi on m’a chargé de faire les papiers, donc on va faire les herbes mais pour l’instant c’est les papiers…’ Tous ne comprennent pas ça ! »
Beaucoup de questions micro-locales remontent du terrain et transitent à travers les agents des services techniques, avec comme centre de gravité, les responsables Fatiha et Gérard. Ce dernier a pour particularité d’avoir un rôle de médiation à trois branches : la première auprès des habitants qui lui font endosser, par son exposition sur l’espace public, l’étiquette de représentant de la municipalité.
La dernière fois y’avait une femme qui voulait une bande jaune devant chez elle, tout ça parce que le voisin d’en face s’y était garé une fois. Mais ‘c’est pas votre trottoir madame’ : Il faut expliquer ! Mais y’a à prendre et à laisser. Quand on vient nous voir dans la rue, on explique : ‘on nous a dit de faire ça, on obéit.’ On essaye d’expliquer pourquoi ils [les décideurs] mettent ça en place. Le plus souvent les gens comprennent.
La seconde branche s’apparente davantage à un rôle de représentant voire de défenseur des agents, car l’anecdote des dépôts sauvages soulève à nouveau la question du respect, telle qu’elle est mise sur la table par les dames de services dans leur quotidien, et l’importance de se sentir valorisé.
C’est pas valorisant non plus de ramasser des déchets. Et aux agents ça fait du bien de voir que j’ai fait un mail comme quoi ça suffit ! Ça fait partie du management aussi.
Enfin, la troisième branche de médiation est celle d’intermédiaire entre le terrain et le pouvoir politique.
En étant sur le terrain c’est aussi nous qui participons à la prise de décisions, d’après notre expertise de terrain. Et le plus souvent on est écoutés !
Gérard se trouve donc à la croisée des chemins, à l’instar de Fatiha qui participe elle aussi à l’articulation globale entre les services.
Je suis un lien entre les deux [agents et décideurs]. La direction n’est pas forcément sur le terrain, moi qui y suis, je vois comment les gens travaillent, et ça permet quand les agents me font certaines remontées, de faire aussi la part des choses de mon coté. Tout ne peut pas être décidé que par la direction, voilà, c’est du travail en bonne intelligence.
A travers ces quelques portraits, femmes et hommes des services techniques de Drocourt m’ont livré un petit bout de leur histoire commune ; j’en retiens des histoires pleines de courage, avec toujours à cœur l’envie de bien faire ; des histoires marquées aussi par des difficultés, dans des métiers où les corps sont souvent sollicités ; des histoires nourries d’un lien humain primordial, qu’il s’agisse du contact avec les enfants ou de l’esprit de solidarité entre collègues ; des histoires structurées par le lien social inhérent à l’organisation du travail, où le dialogue et l’écoute sont les boussoles du quotidien ; mais aussi des histoires animées par la colère et l’injustice, où le respect et la valorisation sont les marqueurs d’une reconnaissance sociale bien trop frileuse. Alors, même si les métiers des services techniques resteront probablement dans l’ombre, ils n’en restent pas moins des métiers essentiels et à Drocourt, petite ville du Pas-de-Calais, les agents, les encadrants, et les décideurs agissent pour une collectivité qui a du sens pour tous.
Vous pouvez être fiers de votre travail et vous êtes indispensables.